PRÉFACE par Gilles Clément
Ces digitales s’intéressent à ce que j’ai formulé comme étant le tiers-paysage, les délaissés urbains ou ruraux, les espaces de transition, les friches, rives, talus et aussi les territoires en réserve, sommets de montagnes, lieux inaccessibles et déserts. Elles nous invitent sur leurs traces dans le bois de Vincennes, sur le bord du canal de l’Ourcq, sous le périphérique comme dans le jardin dit anglais du château de La Roche-Guyon qui a été à la fois l’abri et le creuset de leur travail au fil de leurs résidences de création.
Une très juste intuition poétique d’abord, celle du voyage immobile, « tout ce que nous savons d’un voyage que n’avons pas fait » et la célébration de l’altérité ensuite comme principe premier avec cette adresse à « la quatrième minorité de Chine », les Miaos, dont les femmes chanteraient leurs déclarations d’amour du haut des sommets à leurs fiancés, altérité encore avec leurs invités mystères venus des pays qu’elles ont traversé en poésie. Ce qui a d’abord été un spectacle – que je n’ai pas vu – en cinq stations créé in situ est devenu grâce à « la bibliothèque fantôme » de La Roche-Guyon ce livre et, de surcroît, un livre sonore puisque le chant aussi est au cœur du projet.
Au bout de l’aventure immobile, poétique autant que politique, voici ce carnet de voyage imaginaire propre à aiguiser le regard et une ode à la vivacité, au déplacement, à la résistance, à l’amour où les plis hercyniens seraient aussi les plis du corps et de la mémoire.
Résolument vagabondes, ces digitales inventent un « outreson » et peut-être même un « outrelivre » à multiples entrées, multiples modes de lecture, proche de la toile dans laquelle elles sont comme des chrysalides, et grâce auquel vous pourrez, comme dans un parcours initiatique, voyager dans votre chambre avec une belle sensation de liberté car leur jardin est bien planétaire.